
Les élections législatives en Espagne : un tremblement ?
Mais ces élections générales témoignent d’un blocage institutionnel jamais vu en Espagne et qui explique les tendances à la coalition.
D’abord, le Congrés des députes constitue la chambre basse du parlement. Ce sont 350 députés élus pour 4 ans – ils ont le pouvoir législatif, budgétaire et le contrôle du gouvernement. Ils siègent à Madrid.
La deuxième chambre est le Sénat, qui est la chambre haute. Il y a un nombre variable d’élus. Mais ce nombre ne peut être inférieur à 225 élus selon un système mixte : au suffrage universel par province ou par île, ou par les assemblées des communautés autonomes. Les deux exercent leur pouvoir conjointement au sein du cortes générales : c’est un parlement bicaméral.
L’Espagne est un pays où règne le multipartisme. Ainsi, on constate un foisonnement de partis allant du spectre le plus droite au spectre le plus gauche de l’échiquier politique : le PSOE, le PP, VOX, Ciudadanos, Podemos – ainsi que plusieurs partis régionaux, indépendants comme le PNV (Partido Nacionalista Vasco) ou des partis de Catalogne comme Junts per Catalunya ou ERC (Esquerra Republicana de Catalunya). Les partis indépendantistes jouent un rôle fondamental dans la politique de l’Espagne. Ils remettent en cause la centralisation souhaitée par certains et revendiquent des droits d’autonomie et d’autodétermination.
Mais si on analyse en détail, le résultat des élections on constate qu’elles font preuve d’une certaine singularité qui va obliger l’intervention du roi. Les résultats montrent une issue incertaine car le PP (Partido Popular) de Feijoo n’obtient pas la majorité malgré l’aide de Vox, qui lui perd des sièges. Le PSOE du président du gouvernement Pedro Sanchez déjoue les sondages en inaugurant une chute électorale qui ne progresse que de quelques sièges seulement. Tandis que son allié potentiel Sumar recule par rapport à son prédécesseur Unidas Podemos.
Dans leur ensemble, les partis ayant soutenu Pedro Sánchez sous la législature précédente perdent la majorité absolue. Cette situation place Ensemble pour la Catalogne, parti indépendantiste catalan, en position de faiseur de rois, mais sa réticence à assurer la stabilité gouvernementale de l’Espagne peut laisser entrevoir un blocage institutionnel conduisant à de nouvelles élections.
Ces élections représentaient quatre enjeux majeurs. D’abord, la possibilité pour Pedro Sanchez d’obtenir la majorité. Celui-ci avait fait passer plusieurs mesures sociales assumant le virage à gauche comme : l’augmentation du salaire minimum, la création de postes de fonctionnaires ou encore la décision symbolique d’exhumer l’ancien dictateur Franco. Des choix qui lui ont permis de gagner de nombreux points dans les enquêtes d’opinion et d’arriver en position de force à la veille des élections. Pour gouverner, Pedro Sanchez devra trouver un terrain d’entente avec le parti de gauche radicale Podemos. La question qui se pose est aussi la suivante : de quel côté va pencher Ciudadanos ?
La possibilité d’une alliance entre le PSOE et la formation libérale Ciudadanos est en réalité une option improbable au vu du virage à gauche opérée par Pedro Sanchez mais surtout l’attitude peu conciliante de Ciudadanos. L’impact sur la situation en Catalogne est le troisième enjeu crucia car Ciudadanos comme le PP ont tenté de faire de la crise en Catalogne un sujet central des élections. Enfin, la percée de l’extrême droite est un enjeu tout à fait préoccupant. C’est une première depuis le retour de la démocratie en Espagne : la présence d’une formation d’extrême droite en capacité d’obtenir des sièges au Parlement. Menée par Santiago Abascal, 43 ans, la formation d’extrême droite, anti-immigration, anti-IVG, espère réaliser une percée, notamment dans les territoires ruraux. Cette irruption dans le paysage politique est favorisée par l’attitude ambiguë du PP et de Ciudadanos à son égard. Alberto Núñez Feijóo puis Pedro Sánchez font savoir qu’ils chercheront tous les deux à former une majorité, une situation inédite depuis l’entrée en vigueur de la Constitution. Le roi Felipe VI propose initialement Feijóo comme candidat à l’investiture, mais il ne réunit que 172 voix sur 350 lors des deux votes successifs devant le Congrès. À la suite, le monarque propose donc la candidature de Sánchez.
Pour mieux comprendre, on peut s’intéresser au contexte antérieur. En 2018, Pedro Sánchez, est nommé président du gouvernement après avoir remporté une motion de censure. Il n’a pas eu assez de soutien pour gouverner en majorité et a dû convoquer deux élections générales. Ces élections entrainent en 2019 la formation d’un gouvernement de coalition aux élections anticipées entre PSOE et Unidas Podemos : Pedro Sánchez obtient l’investiture du Congrès des députés deux mois après le scrutin. En 2020, il entame son deuxième mandat qui connait la Covid 19 ainsi que la guerre en Ukraine et qui traduit dans une certaine mesure une usure du gouvernement. Cette usure se manifeste par le résultat des élections autonomes et municipales du 28 mai 2023. PSOE, principal parti au pouvoir, perd une grande partie des communautés autonomes et des mairies de villes pertinentes face au parti Popular. Le lendemain, le lundi 29 mai, Pedro Sánchez annonce par surprise la dissolution des Cortes et la convocation d’élections générales pour le 23 juillet 2023. Aux élections municipale, Vox avaient gagné vingt-deux villes pour en faire des laboratoires d’expérimentation politique.
Aussi, rappelons que depuis 2011-2012, la Catalogne souhaite trouver un accord fiscal. Mais Mariano Rajoy, le premier ministre de cette époque refuse. Alors, à partir de 2013-2014, les partis espagnols lancent un référendum pour l’indépendance. Il est rejeté car le gouvernement juge cet acte inconstitutionnel. Mais Arthur Mas, le président de la Generalidat le fait malgré tout. En 2014, le référendum a lieu, qui établit un « oui » en faveur d’un État indépendant en Catalogne. Des élections régionales sont organisées. Un nouveau parti est créé : Junts per si. Carles Puigdemont prend la tête de la Généralité en janvier 2016 et annonce un nouveau référendum le 1er octobre 2017 : la déclaration d’indépendance de la Catalogne.
La question du référendum, à laquelle les électeurs devaient répondre par « oui » ou « non », était la suivante : « Voulez-vous que la Catalogne soit un État indépendant sous la forme d’une république ? »
Le gouvernement espagnol répond instantanément par l’article cent cinquante-cinq de la Constitution, plaçant la Catalogne sous tutelle, destituant le Parlement et son président, et initiant des élections régionales pour le 21 décembre 2017. Les dirigeants responsables du référendum sont accusés par la justice espagnole de « rébellion, sédition, détournement de fonds publics et désobéissance à l’autorité ».
Enfin, le 21 décembre 2017, les partis indépendantistes obtiennent 47,5 % des voix aux élections régionales, ce qui leur permet d’obtenir une nouvelle majorité absolue au Parlement catalan avec 70 des 13 sièges.
De même, lors des élections législatives de décembre 2017, l’émergence de Ciudadanos et Podemos a mis fin à la domination des socialistes et du Parti populaire. Le bipartisme, traditionnellement dominant depuis le rétablissement de la démocratie il y a 38 ans, est en crise. Une nouvelle ère s’ouvre.
En moins de deux ans, un parti comme Podemos, dirigé par Pablo Iglesias et née des manifestations des indignados en 2011, est devenu la troisième formation politique d’Espagne et le premier mouvement ayant des alliés en Catalogne.
Ce sont les partis nationalistes – basques ou valenciens, peut-être même catalans – qui détiennent la clé de la gouvernabilité du pays.
La crise économique, le chômage de masse et les coupes sombres dans les dépenses sociales peuvent expliquer ce phénomène et la progression du multipartisme.
En somme, l’enjeu de ce scrutin était très important pour savoir quel parti allait voir le jour. Mais le fait qu’aucun parti n’obtienne la majorité est révélateur d’un blocage institutionnel qui nécessite l’intervention du roi.
Face à cette situation, les partis ont dû former des coalitions pour tenter de former une majorité. On peut aussi voir une forte poussée de la droite voire de l’extrême droite qui met en garde sur l’avenir démocratique de l’Espagne. Ces élections montrent aussi le pouvoir des partis indépendantistes régionaux.