
Une vérité est-elle discutable ?
La vérité en philosophie… Une vérité par sa définition serait la correspondance entre une proposition et la réalité dont elle parle elle-même ce qui pourrait se résumer par « Adaequatio rei et intellectus ».
Une idée, un discours, une phrase sont vraies lorsque leur sens sont conformes à la réalité extérieure, c’est-à-dire à ce que sont objectivement les faits. L’essence même de la vérité, par son caractère immuable, voire dogmatique, nous pousse à avoir de bonnes raisons de penser spontanément une vérité comme indiscutable. Mais d’un autre côté si l’on poursuit le raisonnement, il semble que cela n’aille pas de soi et que chaque vérité peut faire l’objet d’une remise en question par la pluralité des opinions, des avis opposés et de constants désaccords sur des vérités religieuses, historiques, politiques et même scientifiques. Le mot « discutable » renvoit de façon sous-jacente à l’usage de la parole et donc à l’utilisation du langage dans la notion de vérité. Dès lors une vérité est-elle discutable ?
Une vérité est-elle toujours absolue ou relative, c’est-à-dire nuancée par différents points de vue ? Comment accéder à la vérité si ce n’est pas par un recours tel que le débat, la critique, les discussions en général ou encore des démonstrations scientifiques ?
La recherche d’une vérité absolue, qui serait indiscutable, et qui permettrait à l’homme de se constituer en tant qu’être humain fera l’objet de notre première partie. Puis dans un second temps, nous verrons que chaque vérité peut être remise en cause par de nouvelles expériences et qu’aucune certitude absolue ne peut être atteinte de façon objective : elle fera dès lors l’objet de discussions au sein de la société. Nous terminerons dans une troisième partie sur le rapport que l’on entretient avec la vérité. Nous nous poserons la question de la valeur de la vérité et si la recherche de l’idéal de vérité a-t-elle un sens.
Tout d’abord, il sera intéressant de montrer qu’une vérité peut être indiscutable et que l’humain par sa condition et sa nature est à la recherche d’une vérité absolue.
En premier lieu, l’Homme se définit par une faculté de raisonnement, il est un sujet « le moi » qui donne un sens au monde. Ainsi, il y a une équivalence entre le moi et la conscience qui se définit par une faculté universelle, caractéristique de la nature humaine. Par le bais de cette faculté, l’Homme va constamment être à la recherche d’une vérité absolue que l’on ne pourra pas remettre en question. En effet, la conscience de soi peut être vue comme vérité première. Le fait que l’humain doute est une vérité dont je ne peux pas douter (« JE doute »). Cela implique qu’il y a un bien un « moi » qui existe et qu’il se définit comme activité de penser. Peu importe qu’un malin génie me fasse penser n’importe quoi, ce qui ne peut pas être remis en cause c’est que je pense quelque chose. De ce point de vue, le « moi » est donc l’objet d’une vérité première. C’est la tache à laquelle s’adonne Descartes dans les « méditations métaphysiques » où il essaye de trouver une vérité absolue dont on ne peut pas douter dans le but de faire taire les sceptiques (courant de pensée depuis l’Antiquité, sur lequel nous serons amenés à revenir). Ainsi, Descartes fonde l’idée selon laquelle l’humain est défini par une faculté universelle à penser par lui-même et à distinguer le vrai du faux. En ce sens, le fait de douter serait une vérité indiscutable et qui ne peut être remise en cause par aucun être humain. La connaissance de soi va pouvoir constituer le fondement sur lequel pourront s’élaborer toutes les autres connaissances.
En second lieu, acquérir des connaissances serait un moyen efficient d’établir une vérité indiscutable et partagée par tous les membres d’une société. Le pouvoir de la connaissance consiste à s’élever au-dessus des choses, à remonter vers la définition même de celles-ci. Connaitre serait donc le fait de se hisser vers l’essence des choses, en d’autres termes acquérir ce qu’on appelle l’intégibilité de ces choses plutôt qu’une simple sensation. De ce point de vue, les mathématiques et la géométrie sont des sciences qui entraînent l’abstraction : ce dont nous avons besoin pour disposer d’une connaissance certaine. C’est ce que Platon appelle l’Idée. Platon, philosophe antique de la Grèce, expose « l’Allégorie de la Caverne ». Elle met en scène des hommes enchaînés et immobilisés dans une « demeure souterraine », par opposition au « monde d’en haut », ceux-ci tournent le dos à l’entrée et ne voient que leurs ombres et celles projetées d’objets au loin derrière eux. Elle expose en termes imagés les conditions d’accession de l’homme à la connaissance de la chose, au sens métaphysique du terme, ainsi que la toute aussi difficile transmission de cette connaissance. Dans ce contexte, les ombres correspondraient à une apparence illusoire des choses : elles représentent les apparences, c’est-à -dire la manière dont nous les percevons par le biais de notre sensibilité, dans l’expérience, et ces perceptions purement sensibles qui ne donnent pas une connaissance. Au contraire, ma sensibilité, la manière dont je les perçois peuvent me tromper. Si l’on s’en tient à nos émotions, on peut se tromper sur ce qu’est la justice par exemple. En effet, si je m’en tiens à ma sensibilité j’ai seulement accès à des faits spécifiques. Alors que la connaissance vient de l’usage de la raison : elle permet de se détacher du témoignage direct des sens pour s’élever dans le domaine de la réflexion pure.
Prenons l’exemple d’une fleur. Savoir ce qu’est une fleur ne consiste pas à décrire notre rapport sensible à elle. C’est plutôt dire à quelle catégorie elle appartient. Repérer ce qu’il y a en elle de nécessaire c’est-à-dire les propriétés qui font d’elle une fleur. Et ceci dans le but de dissocier au contraire ce qui est contingent, c’est-à-dire appréhender le fonctionnement des choses en fonction de leur logique. Selon Platon, faire l’effort de cet usage de la raison c’est justement le propre de l’Homme. Le logos en grec, qui signifie la raison, guide les deux autres facultés que l’on a en nous : le Thumos et l’Epithumia. Ainsi, par l’usage de notre raison et notre pouvoir de connaissance nous pouvons établir une vérité indiscutable puisque qu’elle aura été démontrée scientifiquement. Les sciences permettent donc d’appliquer des principes logiques et de démontrer qu’une vérité peut être indiscutable au moyen de ce qu’Aristote nomme les syllogites. Le syllogysme consistant à poser des prémices, c’est-à-dire des propositions dont on sait qu’elles sont vraies pour les mettre en lien afin d’attirer un gain de connaissances. Par exemple si l’on considère qu’une forme géométrique dont la somme des trois angles fait 180° alors nous tenons comme une vérité absolue ce qu’est un triangle.
Il existe un processus par lequel nous pouvons obtenir une connaissance non seulement sur des entités purement abstraites mais également sur les phénomènes naturels (les mathématiques donnent lieu à des vérités qui ne sont que de l’ordre interne) et ce processus engendre la physique. Elle représente typiquement la manière dont les phénomènes peuvent être connus. La méthode du physicien ne repose pas sur un simple processus d’induction. L’induction c’est partir d’observations particulières multiples pour en arriver à des généralités ou à des lois générales. Bien au contraire le physicien commence par faire une hypothèse théorique à l’aide d’un pur raisonnement et qu’il ne teste que dans un second temps grâce à une expérience qu’il organise précisément en vue de la mettre à l’épreuve. En cela la science n’est pas une réception passive des sens et pourra alors dégager une vérité qui sera indiscutable.
De surcroît, la science se défait de tout obstacle épistémologique. En ce sens, les épistémologues estiment que l’esprit scientifique consiste à faire l’effort de dépasser l’opinion instinctive que l’on se fait sur le monde. Le scientifique a avant tout le « sens du problème » c’est-à-dire la capacité à mettre en question des idées qui sont simplement données pour, et à la place, construire activement des modèles qui rendent compte de ce qu’il y a d’objectif dans les phénomènes scientifiques. Ceux-ci vont alors de facto se défaire de tout obstacle de l’ordre épistémologique. En effet, au sein de l’épistémologie, la science se concentre sur la recherche de vérités formelles qui regroupent les mathématiques ainsi que la logique et reposent sur des systèmes axiomatiques. Un énoncé tel que « il existe une vérité absolue » est axiomatique car il est impossible de le nier sans se contredire.
Il existe de nombreux épistémologues comme Gaston Bachelard, celui qui a inventé la notion « d’obstacle épistémologique », afin d’appréhender et d’analyser les obstacles à la connaissance scientifique constitués par les a priori notionnels liés aux acquis préexistants, qui séduisent l’esprit du chercheur et des élèves. Ceux-ci les empêchent de progresser dans la connaissance des phénomènes. De ce point de vue, les scientifiques, en se défaisant de ces obstacles nommés par Bachelard, vont pourvoir établir une vérité qui sera indiscutable.
En somme, par le biais de la faculté de raisonnement de l’humain, il peut parvenir à établir des vérités qui seraient indiscutables, autrement dit des vérités que l’on peut qualifier de formelles : c’est le cas d’une vérité scientifique. Néanmoins, c’est grâce à cette même faculté de penser, que l’Homme peut constamment remettre en question les vérités établies au fil de ses expériences, et ce tout au long de sa vie.
En effet, chaque vérité déjà établie peut faire l’objet d’une remise en cause permanente car celle-ci fait est sujette à de multiples discussions entre les individus.
Les sciences constituent un empire qui est cependant limité et peuvent être vues comme un processus de révolution et de réfutation. Tout d’abord, la science consiste à faire des théories par l’usage de sa raison et in fine d’atteindre des vérités. En revanche, ces vérités ne peuvent se prononcer que sur des phénomènes c’est-à-dire la manière dont les choses nous apparaissent. La science ne va pas au-delà des apparences, elles trouvent des lois qui donnent une logique à la manière dont le monde nous appartient. L’humain, par l’usage de sa raison et de sa pensée, est amené à réfléchir à des choses qui dépassent l’expérience sensible. Emmanuel Kant les appelle les « absolus » ou « les choses inconditionnelles ». C’est le cas de la religion avec la croyance en Dieu : ce sur quoi je ne peux pas dire s’il existe ou pas. Ainsi, la science nous montre ses limites car elle ne démontre pas de vérité absolue quant à l’existence de Dieu, qui est donc une vérité discutable. De surcroit, la science n’avance pas par accumulation mais par des révolutions. Toute science repose sur ce qu’on peut appeler un paradigme, c’est-à-dire une vision du monde, sur des croyances, sur la reconnaissance par la communauté scientifique de la validité de certaines idées de base. Et lorsqu’une révolution scientifique incarne un paradigme, elle connaît une crise. En effet, une nouvelle expérience vient contredire une théorie existante et un nouveau paradigme vient le concurrencer et le supplanter. Il existe de multiples révolutions scientifiques qui démontrent cet argument exposé par le philosophe Thomas Kuhn. C’est le cas de la Révolution Galiléenne avec l’héliocentrisme, mais aussi la révolution faite par Einstein autour de la théorie de la relativité et qui fonde l’idée selon laquelle le temps et la distance sont des variables changeantes. Par conséquent, cela nous amène à dire qu’une vérité n’est pas de l’ordre d’une objectivité absolue et indiscutable mais plutôt d’une « efficacité temporaire » qui pourra être remise en cause à partir d’une réfutation de présupposés plus profonds. Ainsi, la science ne consiste pas à établir une vérité indiscutable mais plutôt à créer un processus de confrontations de plusieurs scientifiques.
Par ailleurs, on notera l’existance deux courants de pensée qui viennent mettre en exergue le fait qu’une vérité est tout à fait discutable : le scepticisme et le relativisme.
Le scepticisme est une école de pensée de l’Antiquité qui consiste à nier toutes les possibilités pour l’humain d’atteindre une vérité absolue : il n’y aurait pas de correspondance entre mes idées et la réalité extérieure ; cette dernière se fomenterait qu’à partir d’un point de vue. Tout le monde à déjà vécu l’expérience de l’erreur en se rendant compte qu’on croyait quelque chose d’absolument vrai mais qui s’est révélé être faux. De ce point de vue, toute connaissance correspond à la sensation qui découle de la probabilité que certains types d’événements se reproduisent. Au fil des multiples expériences que l’on se fait du monde, on observe des régularités, c’est-à-dire des phénomènes qui se répètent et qui auront lieu dans le futur : le soleil qui va se lever demain par exemple. Hume, un philosophe qui incarne l’empirisme, affirme qu’il s’agit d’une idée que l’on ne peut pas démontrer, c’est une croyance de penser que le futur va ressembler au passé. Selon lui, ce qu’on appelle des vérités reposent ultimement sur l’accoutumance et sur une croyance selon laquelle le futur ressemble au passé : habitude qui fait que petit à petit, les choses ne vont plus me surprendre. Il ne s’agit pas de dire que toutes les idées se valent mais plutôt de dire qu’il y a des idées et des manières de penser qui se révèlent être plus probables que d’autres. En ce sens, une vérité n’est pas absolue, au contraire c’est simplement une idée provisoire, remise en cause par de nouvelles expériences donc discutable.
Le relativisme, quant à lui, est une doctrine ou un mouvement de pensée qui affirme qu’il n’existe pas de vérité absolue. Le relativiste c’est celui qui dit « à chacun sa vérité ». Par exemple si on prend le relativisme culturel, il défend l’idée selon laquelle les mœurs, les traditions ou encore les vérités morales sont relatives aux époques, aux coutumes, à l’éducation… En affirmant que “la vérité n’existe pas”, on prétend dire la vérité. En ce sens, le relativisme est une position auto-contradictoire. Si je dis la phrase « il n’y a pas de vérité », on peut se demander si cette phrase est vraie ou fausse. Si la phrase « Il n’y a pas de vérité » est vraie, alors elle se contredit elle-même. En outre, les positions relativistes ne traitent pas de la vérité mais bien des opinions. Il y a une confusion entre vérité et opinion car l’opinion est subjective alors que la vérité témoigne d’une forme d’objectivité. La vérité est universelle tandis que l’opinion est individuelle.
A cela s’ajoute pour les individus un besoin irrémédiable de se mettre constamment d’accord sur des choses. Ceci entraine toujours plus de débats et de divergences d’opinions. Au-delà de son premier sens qui signifie la raison, le logos signifie aussi la parole. Pour les grecs, la parole est définie comme une chose intrinsèquement politique : l’homme est un animal politique justement parce qu’il possède la parole. Grâce à cette vertu, les humains peuvent exprimer des jugements et des manières de voir le monde car ils ont besoin de se mettre d’accord : il s’agit d’un processus politique : parler et s’exprimer. Dans le but de trouver un moyen d’organiser la société de manière à ce que le bien commun soit fait. Cela implique la pertinence du débat qui est un usage de la parole. Pour qu’un débat soit constructif politiquement il ne doit pas se résumer à un « affrontement » stérile, frontal, qui donnerait lieu à aucune concession. Le débat est fertile s’il fait évoluer la manière de penser pour possiblement arriver à un accord et la politique vient du fait que cet accord est toujours précaire : il n’a jamais fini d’être remis en cause. Mais qu’en est-il de la liberté de penser ? Nous sommes enlisés dans un choix crucial avec d’un côté la nécessité de trouver constamment un accord et d’autre part favoriser la liberté de penser ; c’est-à-dire proposer des visions du monde, jamais exposées jusque-là, qui ont une valeur, et qu’on doit prendre en compte. De ce fait, utiliser sa raison dans le domaine politique dépend de la possibilité à remettre en jeu des vérités établies ou des idées qui semblaient aller de soi. Dans l’ouvrage « Qu’est-ce que les lumières » Michel Foucault soutient que l’on a tendance à penser que les Lumières représenteraient l’avènement de la raison comme s’il s’agissait d’une faculté qui permettrait d’obtenir des vérités universelles absolues, nous permettant de sortir du règne des simples croyances. Foucault va à l’encontre de ce poncif en affirmant que les Lumières ne représentent pas la fin des croyances, mais la faculté à faire taire la critique des croyances qui sont établies à un moment donné. Cet effort, selon Foucault, est infini car il y aura toujours des croyances dans les sociétés : ce regard critique doit constamment s’exercer. Raisonner c’est se demander si les idées établies ne pourraient être autres. Il n’y a jamais un état dans lequel je suis définitivement dans le vrai. De facto, une vérité est un effort continuel à poursuivre. Elle est donc source de débat dans nos sociétés qui concerne toutes les époques. « Trumanshow » est un film de Peter Weir (1998) qui raconte un homme qui sans le savoir vit, depuis sa naissance, dans un immense studio télévisé où tous ses moindres faits et gestes sont filmés et retransmis dans une émission. Cette référence cinématographique témoigne qu’être dans le vrai c’est se rendre compte qu’il y a du mensonge. Par conséquent, une vérité est discutable.
De ce point de vue toutes les vérités établies peuvent faire l’objet d’une multitude de questionnements, de discussions et de recherche dans le dessein de les supplanter pour en édifier une nouvelle. Effectivement, les vérités sont sans cesse enlisées dans un processus de discussions entre les individus d’une même société. Mais ces derniers adoptent-ils et entretiennent-ils un rapport juste avec une vérité ?
Somme toute, la recherche de la vérité a-t-elle à un sens. Cette quête s’inscrit-elle dans l’espoir d’atteindre un idéal ? Ainsi, quelle valeur attribue-t-on a une vérité ?
Pour les sophistes, la valeur de la vérité accordée est faible. Le sophisme est un raisonnement qui sonne vrai en dépit de son imposture donnant par la même une apparence de la vérité. Prenons deux exemples : un cheval bon marché est rare, ce qui est rare est cher, donc un cheval bon marché est cher. Je suis grec et tous les grecs sont des menteurs. Il s’agit d’un discours qui ne vise pas la vérité (par opposition à Socrate et Platon par exemple) mais qui vise à séduire, à persuader. Finalement cela nous fait vivre dans l’illusion, car il est plaisant pour l’Homme de se bercer d’illusions. Le discours politique par excellence, mais aussi le discours poétique, le discours amoureux en sont des illustrations. Le fait de résumer un discours peut être un critère de vérité : la vérité est simple. Cette assertion s’oppose au discours de la séduction, par exemple qui ne cherche pas l’atteinte de la vérité. Si on cherche la vérité, par définition c’est que l’on ne la détient pas car on ne cherche pas ce que l’on a déjà. Or, pour pouvoir reconnaître la vérité parmi la multitude des opinions, il faut disposer d’un critère vrai pour distinguer le vrai du faux. Donc, comment trouver la vérité : au moyen d’une vérité déjà existante que pourtant nous ne possédons pas. C’est par ce raisonnement que les sophistes cherchent à démontrer que la recherche de la vérité à très peu de valeur. En réponse à cela, Platon affirme que la vérité se décompose en trois temps : tout d’abord les âmes ont connu la vérité avant qu’elles ne soient incarnées dans un corps qui soit trompeur. Puis, à la naissance où le corps devient la prison de l’âme et de ses sens qui sont trompeurs, nous perdons la vérité. Enfin dans un troisième temps, la connaissance nous permet d’accoucher les esprits (maïeutique) on parlera alors de re connaissance. En conclusion, le sophisme apparait comme un placebo pour la pensée : il allège les tourments de notre âme sans pour autant les résoudre. Les sophistes nous bercent d’illusions et maintiennent ceux qui les écoutent dans l’apparence de la vérité.
La quête d’une vérité se caractérise comme un moteur, une dynamique. En effet, elle entraine l’Homme dans l’action : une vérité permet d’agir, elle contribue à tenir pour vrai des faits qui nous autorise à nous mettre en action. Une vérité est aussi libératrice car elle diminue les préjugés que nous pouvons avoir, notamment au travers du travail de la psychanalyse, et donc de mieux nous connaitre, connaitre les autres, ainsi que les relations que nous entretenons avec eux. A ce titre, elle permet la libération de ses émotions en comprenant qui je suis. Une vérité offre la possibilité de réflexion. Effectivement, elle favorise la lutte contre l’ignorance et la bêtise. D’une certaine façon, la vérité agit sur ce que je sais et sur ce que je fais, au-delà de ce que je ressens. En conclusion, le travail de recherche d’une vérité entraîne la mise en mouvement de l’Homme.
A contrario, une vérité peut être appréhendée comme une source de souffrance. La dissimulation de toute ou partie d’une vérité est parfois corrélée avec le souci de préservation du lien social. Comme l’affirmé Blaise Pascal : « si tous les Hommes disaient ce que disent les uns les autres, il n’y aurai pas quatre amis dans le monde ». In fine, on s’abstiendra de faire émerger une vérité dans le but bien précis de conserver des liens amicaux. Ne dis-t-on pas d’ailleurs « il n’y a que la vérité qui blesse ». Dès lors, la vérité se confond-elle avec la sincérité ? Dans la pensée moderne, notamment au moment de Descartes, cette notion de sincérité connaîtra une remise en question fondamentale avec le rejet des arguments d’autorité au nom de l’esprit critique : l’esprit de la science et de la philosophie des lumières rejettent les arguments existants, notamment ceux de l’église, au nom de l’exigence du penser par soi-même. Cela amène à confondre sincérité ou authenticité et vérité ; ceci peut se résumer par être sincèrement dans l’erreur : on peut énoncer de bonne foi des contre-vérités !
Ensuite, l’Homme par son essence, ressent le besoin ultime d’être à un moment donné dans un état où une vérité est incontestée. La recherche d’une vérité vient du besoin de calmer une peur, une crainte, face à un malaise lorsqu’il se confronte à l’inconnu. Cela se traduit par un mouvement de défense qui vient de cet instinct de peur que l’on pourrait caractériser de pulsion. L’inconnu fait peur car ce qui est inconnu c’est ce qui sort de notre maîtrise, ce qui dépasse les frontières de la représentation du monde que l’on se fait à un moment donné et qui donc met en défaut notre puissance. La question de la mort en est une illustration. Comprendre c’est remettre dans le champ du normal un phénomène, c’est le faire rentrer dans un cadre de pensée, dans une catégorisation de choses que l’on a déjà en tête et dont l’inconnu serait la nouveauté. Le danger réside dans l’adoption trop rapide d’une croyance en des causes simples, rassurantes qui effacent la complexité du phénomène (c’est le fait qu’un phénomène puisse mettre en jeu des rapports de causalité que je n’envisageait pas, et donc que je ne peux pas comprendre totalement). C’est notamment la thèse défendue par le philosophe allemand, Nietzsche dans le « crépuscule des idoles » (1889). Il y a une réelle progression dans la connaissance et celle-ci implique de constamment accepter un moment d’incertitude. Le fait d’aller vers plus de connaissances contribue à mettre en variation son cap de pensée. Les théories du complot sont des exemples qui expliquent la manière dont l’Homme peut ramener à des causes simples des phénomènes tout à fait complexes. Au lieu d’accepter une vérité complexe, ces dites théories entraînent ses prosélytes de penser qu’ils se font manipuler par une organisation de personnes. Le complotiste est omniscient : il devine les idées supposées dissimuler des autres et pour finir par se convaincre de leur inexactitude. La génétique est également un exemple qui donne naissance à des humains dont on maîtrise les caractéristiques (illustration qui s’oppose à la théorie du complot). Toute pensée de l’humain peut s’expliquer par des facteurs neurochimiques. A partir de là, Nietzsche ne critique pas simplement les cas typiques de croyances superstitieuses et non prouvées comme la théorie du complot mais aussi un certain rapport que l’on pourrait avoir avec la science. Celui-ci se traduit par un certain « scientisme » évident (confiance démesurée dans les résultats scientifiques).
Enfin, une vérité est incontestablement douloureuse car elle rappelle à l’Homme son incapacité à se maitriser soi-même : c’est son inconscient qui dirige ses actions : ce phénomène relève de la 3ème blessure narcissique de l’Homme. « Le moi, n’est pas maître dans sa propre maison » comme nous le rappelle Freud. Cette théorie de la psychanalyse remet en cause l’idée selon laquelle l’humain serait maître de lui-même. On pense et on se comporte comme si nous on étions en pleine conscience de notre être et pourtant Freud affirme que c’est bien l’inconscient et nos pulsions qui en découlent qui a le contrôle de notre être. Il s’agit de ce qu’il appelle la 3eme blessure. La première étant celle relative a Copernic : nous tournons autour du soleil et non l’inverse. Ce qui peut se traduire par : nous ne sommes pas le centre de l’Univers. La deuxième blessure est révélé par Darwin : l’humain n’était pas doté d’attributs particuliers qui le rendrait supérieur à d’autres espèces. En cela la vérité est douloureuse pour l’Homme et entraine de véritables blessures narcissiques.
Au final, la question qui se pose est de savoir si l’on doit croire à une vérité et à sa quête incéssante. N’est-ce pas arrogant ou prétentieux de prétendre détenir une vérité, au-delà de principes dogmatiques souvent scientifiques ou historiques. La sincérité n’est-elle pas le but ultime, permettant de libérer les humains aussi bien dans leur rapport à eux-mêmes que dans leurs relations sociales.
Bien au contraire, si l’on considère que la non contradiction permet d’établir une vérité, que la science permet de démontrer des vérités qui correspondent au réel, et que la vérité comme découverte du monde, comme dévoilement, existe bien, nous tenons ici des critères suffisamment objectifs pour qu’une vérité soit considérée comme non discutable. Nous nous appuyons sur ces critères, au sens étymologique du mot, qui nous permettent de trier, de séparer le bon grain de l’ivraie. Nous avons dès lors une réponse aux sophistes et à leurs discours illusoires, aux relativistes et leurs opinions amenant au fameux « chacun sa vérité » et aux sceptiques et leur suspension du jugement. La vérité nue, la vérité simple, la vérité qui s’impose comme une évidence nous libère, nous construit, nous amène à la béatitude : une vérité indiscutable comme une clé vers le bonheur.