
Les murs frontaliers dans le monde
Ce texte s’intitule : « les murs de séparation, une somme de contradictions » et a été rédigé par Alexandra Novosseloff en 2018. Cette docteure et chercheuse en géopolitique et science politique à l’Université de Paris-Panthéon-Assas a notamment publié « Le conseil de sécurité des nations unies ». Cet article de géopolitique témoigne des aspects négatifs des murs présents dans le monde. Il s’agit d’un texte engagé démontrant toutes les faiblesses d’une réponse qui semble pourtant s’imposer comme une évidence pour se protéger des effets négatifs du phénomène actuel de la mondialisation.
Depuis le début des années 90, et notamment après la chute du mur de Berlin en 1989, et après les attentats du 11 septembre 2001, la construction de barrières frontalières n’a fait que s’accroitre dans le monde, en raison d’une « perte de repères » et des « menaces qui pèsent sur de nombreux pays », explique la journaliste. Malgré un transport de marchandises fluide, on voit se dessiner de façon silencieuse des murs de séparation qui témoigne d’une fragmentation croissante du village planétaire : replis identitaires en fonction des ethnies et peurs ressenties par les peuples.
On notera certaines données clés, fournies par Michel Foucher :
- En 2007 : 17 murs internationaux (7100 km, 3% des frontières)
- En 2018 : environ 20 murs, complétés par des frontières fortifiées (portant le total à 60 murs pour 40 000 km, soit 13% des frontières)
Peu à peu, la construction de ces murs devient une solution aux problèmes de criminalité organisée, un rempart contre la pauvreté, une protection contre l’immigration ou bien encore le terrorisme fomenté par la mondialisation. Il ne s’agit, bien entendu, que d’une prétendue réponse : l’auteure nous démontre toute l’inconsistance et les paradoxes du recours à de telles constructions.
En effet, dans son article, la journaliste affirme que la construction de ces barrières n’est qu’une tendance générale créée par la mondialisation et parle de « mouvement à rebours ».
Elle apporte aussi une explication sociologique a cette construction. En effet, on comprend que le mur exerce un déséquilibre, matérialise une différence, et relève d’une distinction entre « nous » et « les autres ».
Un objet multiple
Première caractéristique d’un mur : son unilatéralité. Il est imposé par l’un des 2 pays concernés, sans concertation, par opposition à une frontière, acceptée par les deux côtés, renforçant par là-même l’approche manichéenne d’une telle construction. Il peut prendre la forme d’un édifice en barbelé, en métal ou béton, ce qui souligne. Nous citerons l’exemple du mur construit en Palestine par Israël.
A cela peut s’ajouter d’autres exemples tout aussi parlant à l’image de « la ligne verte » qui coupe l’île de Chypre ou encore le mur de sable qui traverse le Sahara …
Deux cas possibles se distinguent. Premièrement, beaucoup de ces murs coupent en deux un même pays et peuvent être aussi construits en attente de frontières (voir exemples ci-dessus).
L’autre cas est que ces murs frontaliers peuvent se situer sur des zones économiques pleinement dynamiques. La fonction étant alors de marquer un pseudo marquage de territoire mais qui, en réalité, n’est visible que sur un fond de carte. (Exemples : Inde, Bangladesh, Irak..)
Un message contradictoire
La journaliste démontre le paradoxe résidant au sujet de la construction des murs. Nous allons vous exposer ces 5 contradictions :
Première contradiction : on sait que beaucoup de ces murs sont bâtis par des régimes démocratiques (Espagne, USA etc.). Il s’agit en réalité de rassurer l’opinion publique et de montrer qu’ils répondent aux menaces. L’idée est de prouver au peuple que l’Etat a pleinement connaissance des « dangers » et qu’il sait trouver des solutions. En somme, ces nations mettent en place un protocole de réponse visible aux problèmes mais n’ont en réalité aucunes prises.
Deuxième contradiction : Ces mêmes gouvernements font profil bas quant à la construction du mur. Ils n’emploieront pas le terme de mur mais plutôt de clôture de sécurité ou de barrière (termes mélioratifs). Ils souhaitent que le mur ne soit pas trop visible et, pour certains, ils tentent de dissimuler dans les mots une décision non assumée. Sur le terrain, sur un des côtés du mur, on choisira de le peindre, on le placera derrière des arbres ; on ira même à en interdire l’accès.
3eme contradiction : A l‘exemple du mur de Berlin, le régime avait pour ambition première de restreindre et démotiver les allemands de l’Est à passer de l’autre côté. Il est supposé empêcher les migrations pendulaires et augmenter le coût de passage.
Finalement, ce mur va prendre une autre tournure et va contribuer à l’entrée des migrants sur le territoire ; les migrants se substituant alors aux citoyens allemands.
4eme contradiction : l’édification des murs constitue une somme d’argent exorbitante et pour une protection complètement dérisoire à l’échelle du pays. Certains même n‘hésitent pas à dépenser alors que le pays connait une crise financière. Le pays illustrant cette parfaite situation est la Grèce qui a dépensé 30 millions d’euros pour la construction d’une barrière avec la Turquie en 2011/2012.
On constatera que se crée un véritable marché mondial de la construction de murs, s’élevant à 19 milliards de dollars par an. Les véritables offreurs sont les sociétés de défense américaines et israéliennes. Selon l’auteure, cet argent ne sera pas profitable à la protection sociale ; il n’aidera en aucune manière à la consolidation de paix ; enfin, il empêchera la coopération entre les états.
5eme contradiction : comme explicité précédemment ces murs sont très coûteux. Ils ne font que masquer des problèmes, comme l’inégalité économique. De ce fait, ils n’endossent, en réalité, qu’une valeur symbolique. Sur le terrain, la situation n’a pas changé. Les gouvernements optent pour une solution de facilité, un pis-aller.
Le royaume de l’impuissance
Le bilan est, en fin de compte, très contrasté. La sécurité promise engendre au contraire une concentration de faiblesses : non seulement il présente un aspect dangereux en lui-même (trous, failles…) mais induit toute une série de risques pour les personnes étrangères cherchant à contourner de telles constructions. Les gouvernements font à nouveau preuve d’impuissance en créant des murs qui ne règleront en rien les véritables problèmes économiques ou sociaux. Par exemple, en Israël ce n’est pas le mur qui a mis fin aux attentats mais plutôt le changement de stratégie sécuritaire opérée.
Le mur ne règle rien
Jean Christophe Ruffin nous rapporte clairement son opinion sur le sujet dans la première édition de « Des murs entre les hommes » : « Ceux qui construisent ces remparts pensent qu’ils accomplissent un acte de puissance, que le mur est une manifestation de la force. En réalité, il est un signe de faiblesse. La raison d’être un mur, c’est la peur ».
Quoi qu’il arrive il est vain d’imaginer que l’on peut stopper le mouvement des hommes. C’est ainsi que la conclusion tirée par l’auteur met en lumière que le mur de séparation ne règle rien et impose notamment un système dual entre le bon et le méchant. On met sous le tapis des nouvelles menaces que les sociétés pensent avoir résolu et engendre par la suite des frustrations qui seront conséquentes pour l’avenir. Alexandra Novosseloff énonce clairement que ces « murs de la honte » sont précaires et tous voués à l’échec.
En conclusion, l’auteure souligne que les murs ne sont que la matérialisation de l’anxiété des peuples face à ce mouvement planétaire constitué par la mondialisation. Leur plus grand danger réside finalement dans le fait de détourner les populations des vrais problèmes, les empêchant de voir clair pour trouver les bonnes solutions.
Cet article décrit parfaitement le mécanisme de peur des peuples et la manière dont elle est exploitée par les gouvernants pour flatter le repli sur soi. Il met en lumière, à l’image de la ligne Maginot de la France de l’entre-deux guerres, toute la vacuité d’une telle solution. Ce texte engagé est également un texte à charge. On pourra regretter que certains aspects positifs ne soient pas plus mis en valeur. La création d’un mur c’est aussi la matérialisation d’un cadre dans l’esprit des populations. A l’expression d’une angoisse, l’absence de cadre peut aussi avoir des conséquences terribles. Bien sûr que le mur est l’expression d’une forme de totalitarisme venue d’une autre époque, appliquée à des phénomènes modernes de globalisation. L’éducation et la pédagogie seront des réponses évidentes et elles pourront être accompagnées de signes visibles de protection.